LA PUISSANCE INSOUPÇONNÉE DE L'AUDIO DANS LE PAYSAGE PUBLICITAIRE

L’audio, souvent relégué au second plan derrière la vidéo, révèle aujourd’hui toute sa puissance dans les stratégies de communication des marques. Thomas Boutte, directeur de la marque AXA France et président du Club des annonceurs, le confirme : « C’est un média qui active des zones du cerveau très précises. De nombreuses études en neurosciences montrent que l’audio a un impact parfois bien supérieur à la vidéo, notamment parce qu’il sollicite l’imagination. »
Cette capacité unique à créer des « rooms » mentales ces espaces imaginaires où chacun projette ses propres références constitue la force distinctive de l’audio. Un simple jingle sonore, tel le désormais iconique « Tum Tum Tudum » de Direct Assurance, devient un interrupteur émotionnel qui ramène instantanément l’auditeur dans l’univers de la marque.
Pour les annonceurs comme AXA, l’audio n’est pas un choix par défaut. Il représente « un complément très important pour toucher nos audiences, avoir un reach incrémental qui n’est pas à la marge du tout », précise Thomas Boutte. Plus encore, pour certaines cibles comme les professionnels, il s’impose comme « un média socle, au centre de notre stratégie », captant jusqu’à 80 % des investissements publicitaires sur ce segment.
DE LA RADIO À L’AUDIO : UNE MUTATION PROFONDE DU SECTEUR
Laurent Alias, fondateur de l’agence Josiane et président des agences indépendantes à la CC, observe une évolution cyclique :
« Il y a eu plusieurs phases. À un moment, ‘video killed the radio star’, la radio était un endroit de divertissement, rock’n’roll. Puis, dans les agences, la radio est devenue un peu le parent pauvre, les briefs qu’on donne aux jeunes créatifs pour qu’ils se forment. »


Ce qui marque aujourd’hui, c’est le retour en force de l’audio dans sa globalité. Ce renouveau s’explique par plusieurs facteurs :
-
- L’exigence créative : « C’est un média tellement exigeant qu’on se rend compte que les meilleurs créatifs audio ou radio sont ceux qui ont vraiment de l’expérience », note Laurent Alias.
- Le pouvoir de suggestion : L’audio ne dévoile pas tout, ne montre rien, mais stimule l’imaginaire.
- La renaissance musicale : Des campagnes comme celle d’Intermarché ont remis « la musique, le pouvoir émotionnel du son, au-delà de la voix » au centre de l’idée créative.
- L’émergence des podcasts : Ce format en pleine expansion a contribué à revaloriser l’audio comme média premium.
LES DÉFIS CRÉATIFS : ENTRE NARRATION ET CONTEXTE
Malgré ce regain d’intérêt, Thomas Boutte appelle à « une révolution créative » dans le domaine de l’audio.
« Il y a quelques marques qui émergent, qui réussissent à impacter, mais la culture radio n’est pas toujours très présente dans les agences », déclare-t-il.
Le constat est sans appel : trop de campagnes audio restent médiocres, excessivement promotionnelles ou se contentent de débiter de l’information sans chercher à raconter des histoires. Un défi de taille quand on dispose de seulement 20 secondes pour captiver l’auditeur sans support visuel.
La contextualisation représente une opportunité majeure pour l’audio digital :
« On peut sortir du problème d’un sujet générique censé parler au plus grand nombre. Si on cherche à avoir de l’audio plus fin, à toucher des contextes très particuliers, des situations de vie, des audiences spécifiques, on peut commencer à trouver des insights forts », explique Thomas Boutte.
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : RÉVOLUTION OU ÉVOLUTION ?

L’irruption de l’intelligence artificielle dans le paysage créatif suscite à la fois enthousiasme et inquiétudes.
Deux approches s’affrontent :
« Il y a les agences qui y vont à 2000 % et qui surutilisent l’IA pour essayer de prendre un temps d’avance, parfois au détriment de la cohérence ou de la qualité », observe Thomas Boutte. À l’opposé, certaines agences « se font un principe de l’utiliser le moins possible pour le côté artisan publicitaire ».
À court terme, l’IA apparaît comme « un outil formidable pour créer des maquettes et nous permettre de nous projeter sur des intentions ». À plus long terme, la question reste ouverte : sera-t-elle capable de « sortir la radio qui fonctionne » en appuyant simplement sur un bouton ?
Laurent Alias adopte une position nuancée mais résolument tournée vers l’avenir :
« Nous vivons une ère extraordinaire, un basculement global à tous les niveaux. Il y a un nombre d’opportunités extraordinaire pour ceux qui savent les prendre. » Il évoque la théorie économique du retour en « K » :
« Il y a ceux qui se disent ‘je prends le train’ et ceux qui sont réfractaires. Il ne faut pas être un vieux con avec ça parce que le train, il est là, il passe et il passe très vite.»
L’impact de l’IA se fera sentir différemment selon les aspects du métier :
- Sur l’exécution et la production :
« On est capable aujourd’hui de créer des maquettes qui sont quasi aussi bien que des vrais spots », avec « un rapport de coût divisé par 10, 100, voire à terme, 1000 ».
- Sur la conception et la stratégie :
« L’intelligence artificielle crée une forme de moyenne, elle va chercher ce qui existe et ressort une forme de moyenne qui ne va pas créer de différences, qui ne va pas créer de marques. Le métier de l’agence n’est que renforcé : créer de la différence, de la différenciation. Nous sommes des architectes des marques et ce n’est pas une intelligence artificielle qui va arriver à construire cette marque. »

L’AUDIO, UN MÉDIA D’AVENIR
L’audio, loin d’être un média du passé, s’affirme comme un vecteur d’innovation majeur dans les stratégies de communication des marques. Sa capacité unique à stimuler l’imagination, à créer des connexions émotionnelles fortes et à s’adapter aux nouveaux contextes de consommation en fait un levier stratégique incontournable.
Les défis restent nombreux : élever le niveau créatif, former les talents, intégrer intelligemment les nouvelles technologies. Mais le potentiel est immense pour les marques et les agences qui sauront exploiter pleinement la puissance de ce média en pleine renaissance.
Comme le résume Laurent Alias :
« Il faut vivre avec son temps, prendre ce qui a de bon, mais ne pas oublier la force de ce qu’on est capable de créer, nous, en tant qu’être humain. » Une philosophie qui pourrait bien définir l’avenir de la création audio dans un monde où l’intelligence artificielle redessine les contours de l’industrie créative.